« L’émotion, un arbre qui peut cacher la forêt »

Publié en Septembre 2020

Un résumé de l’intervention d’Hélène Sallez

La multiplication des approches thérapeutiques reposant sur la parole bien pensée semble avoir induit un retour vers le langage du corps : « Le corps sait… », « Mes cellules se souviennent… » Peut-être s’agit-il d’une sorte de revanche sur le fameux : « Je pense donc je suis ! »

L’engouement pour les émotions  nous rappelle que la façon que nous avons eue de vivre et de communiquer n’a pas suffi à exprimer ce que nous sommes, que la seule verbalisation des thérapies de type psychanalytique non plus, que le corps est part de l’expression de la sensibilité de la personne, que l’émotion est un signal qui peut toucher l’autre, c’est une brèche dans laquelle il serait irrespectueux voire dangereux de s’engager sans le  préalable d’une présence affectivement disponible, qui n’interprète ni ne juge.

Se mouvoir et s’émouvoir.

Dans le mot émotion, il y a motion. C’est-à-dire ce qui nous meut. Frans Veldman, le fondateur de l’haptonomie,  associe d’emblée ce qui nous meut et ce qui nous émeut, parce que le fruit de son expérience avec les enfants à naître lui a confirmé que le bébé in utéro se meut, et réagit par ses mouvements aux émotions de sa mère, et aux vécus qui sont déjà les siens avant de naître, de plaisir et de déplaisir. Le bébé est déjà sensible à la qualité d’une main qui se pose sur le ventre de sa mère, à l’effet que cette main produit sur le tonus de sa mère modifiant son cadre de vie, puisque l’utérus passe d’un état de souplesse à un état tendu et inversement, et que les hormones de sa mère changent le gout de son liquide amniotique : on observera des mouvements et des rythmes de succion différents : ses réponses motrices vont nous renseigner sur ce qui lui fait du bien ou non.

Cette découverte fondamentale nous confirme une conception qui nous a beaucoup manqué ces temps-ci : celle d’un tout somato-psycho-affectif alors que notre science a découpé l’être humain en secteurs, domaines, fonctions, etc… les cellules dialoguent sans cesse, et l’être humain est en permanence en communication avec son environnement de vie, et cela dès sa  conception : il va vers ce qu’il perçoit comme bon pour lui. Tout en lui se mobilise, et ses mouvements de désespoir, de frustration sont un tout qui met en mouvement son corps tout entier. Deux textes lus présentent 2 conceptions différentes et pourtant compatibles de la vie prénatale selon :

  • La tradition talmudique (C. Singer « Les âges de la vie »)
  • L’expérience de J-P Relier (P. Van Eersel « Mettre au monde. »)

La lecture de ces textes provoque une forte émotion dans la salle, que nous ne pourrions ni ne voudrions même nommer, un peu comme une jeune accouchée à qui on dirait : « Alors ! Raconte ! » Il y aurait donc des émotions que l’on peut partager et raconter et d’autres pas !

Il y a des processus en cours dans l’âme humaine qu’il ne faut pas déranger. C’est un peu comme une gestation, et s’il nous est coutumier aujourd’hui d’ouvrir les secrets, même ceux du ventre maternel, par l’échographie, pour savoir, prévoir et comprendre, peut-être est-il encore temps de ne pas ouvrir toutes les matrices de la vie affective et psychique des enfants avant qu’elles ne soient à terme ! Nous avons besoin d’un peu d’ombre et de silence pour laisser mûrir notre être, pour nous étonner, nous émerveiller, mais aussi pour comprendre …

Pour exemple cet enfant que cite souvent Christine Schuhl qui, à la crèche, refuse d’aller jouer et reste assis devant la vitre de la fenêtre. Il boude ? Il fait de la résistance ? Elle s’approche et constate qu’il suit avec son doigt une goutte d’eau de pluie qui ruisselle de l’autre côté de la vitre. Il est très attentif et son petit doigt tente de suivre précisément tous les méandres de cette gouttelette, celle-là et pas une autre… Faut-il interpréter cela à l‘enfant pour entrer en communication avec lui ?  Ou partager en silence jusqu’à un sourire, un éclat de rire, ou … rien, un regard complice et on passe à autre chose ?

C’est l’inspiration du moment de la rencontre qui va jouer et non les représentations personnelles ou professionnelles qui peuvent projeter sur l’enfant des processus qui ne sont pas les siens, de références historiques ou théoriques qui peuvent correspondre à une partie de la situation, mais peut-être pas à l’essentiel.

Nommer les émotions ?

Malo, 8 ans : « Moi, les émotions je les connais toutes ! Les dures, les douces, les heureuses, les malheureuses ! » Et de les représenter par des visages ronds affectés d’un rictus d’une grimace, d’un sourire. Est-ce cela l’essentiel ? Ne fige-t-on pas les émotions en les fixant ainsi?

Parfois une émotion surgit toujours au même moment, toujours la même, et bloque la communication, mettant par exemple des larmes entre la personne et sa vie, comme un grand bain de liquide amniotique qui la réconforte … Elle bloque quelque chose : le passage de l’émotion au sentiment qui est un vrai moment de maturation et de développement s’il s’accomplit dans l’accompagnement affectif d’un autre qui va permettre ce passage comme une naissance, passage d’un vécu sensoriel solitaire à un éprouvé qui peut se partager et devenir un élément du monde interne de l’enfant, une expérience qui le fonde.

La présence inconditionnelle et pleine de tact d’un ou une autre à ce moment-là est un cadeau véritable, un présent, comme se plaisait à le dire notre ami Bernard This.